Primo Levi, A une heure incertaine
Donnez-nous quelque chose à détruire,
Une corolle, un coin de silence,
Un compagnon de foi, un magistrat,
Une cabine téléphonique,
Un journaliste, un renégat,
Un supporter de l'autre équipe,
Un réverbère, une grille d'égout, un banc public.
Donnez-nous quelque chose à érafler,
Un mur neuf, la Joconde,
Une aile de voiture, une pierre tombale.
Donnez-nous quelque chose à violer,
Une adolescente timide,
Un parterre de fleurs, nous-mêmes.
Ne nous méprisez pas : nous sommes
Des messagers et des prophètes.
Donnez-nous quelque chose qui brûle,
Offense, lacère, défonce, salisse,
Qui nous fasse sentir que nous existons.
Donnez-nous une matraque ou une Nagant,
Donnez-nous une seringue ou une Suzuki.
Plaignez-nous.
A un homme
Quand on meurt
Un ange pleure
Sans rien écrire
Sans rien dire
Tu es parti
Tuas quitté nos vies
Mais pas nos pensées ni nos coeurs
Dans lesquels à jamais tu demeures
Tu as tellement souffert
Sans jamais te laisser faire
Tu aimais la vie
La notre tu l'as embellie
Tu étais tenace
De temps en temps quelques grimaces
Et malgrè mon jeune âge
J'admire tout ton courage
Ta force et ta volonté
De vouloir récupérer
Et jamais nous n'oublierons ton sourire
Et tes éclats de rire
Nous sommes heureux de te connaître
Merci d'avoir été cet être
Et les anges sont émus
De ce que tu fus!
si c'est un homme, P. Levi
Vous qui vivez en toute quiétude
Bien au chaud dans vos maisons
Vous qui trouvez le soir en rentrant
La table mise et des visages amis
Considérez si c'est un homme
Que celui qui peine dans la boue
Qui ne connaît pas de repos
Qui se bat pour un quignon de pain
Qui meurt pour un oui pour un non
Considérez si c'est un homme
Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux
Et jusqu'à la force de se souvenir
Les yeux vide et le sein froid
Comme une grenouille en hiver
N'oubliez pas que cela fut
Non ne l'oubliez pas
Gravez ces mots dans votre coeur
Pensez-y chez vous, dans la rue
En vous couchant, en vous levant
Répétez les à vos enfants
Ou que votre maison s'écroule
Que la maladie vous accable
Que vos enfants se détournent de vous.
10 janvier 1946
la fille en bleu
Elle a des yeux bleus comme le ciel
Et sa voix est aussi douce que le miel
Elle chante pour les âmes en peines
Pour les coeurs lourds et pleins de haine
Elle fait danser les amoureux
Et pleurer les gens heureux
La fille en bleu a les yeux clairs
Comme le soleil en plein hiver
Elle réchauffe nos jours froids
Et berce nos nuits auxquelles on ne croit
Elle porte en elle l'espoir
Et son sourire chasse nos pensées les plus noires.